Nous partons à Bystrany en début d'après-midi, ce n´est pas loin, une petite heure de route. Bystrany est un village-bidonville essentiellement rom, avec un peu plus de 3 000 habitants, un conseil municipal rom et des maires roms. Bystrany font régulièrement la une des info nationales, car pratiquement à toutes les élections communales il y a de la fraude, les élections doivent être renouvelées, mais cela ne résout pas le problème, car comme on vient de l'apprendre aux dernières infos à la télé, le maire qui a été réélu a investi son poste de nouveau en fraude, car ce n'est que maintenant, 6 mois après son entrée en fonction, que l' on vient de s´apercevoir qu´il ne pouvait pas exercer la fonction de maire, car il a été condamné pour avoir voulu donner un pot de vin de 20 euros à un policier qui voulait lui donner une contravention, il a dû payer 600 eu d amende, et de ce fait il était inéligible. Mais cela, il ne l'a dit à personne, ses adversaires viennent de l'apprendre que maintenant, il vient d'être destitué de sa fonction de maire, et la question qui se pose est: est-ce que les décrets et les contrats qu'il a signés en tant que maire illégitime, sont légitimes ?! Il faut que la cour constitutionnelle tranche, voilà une belle affaire pour les journalistes et les télés nationales et privées, qui ne s'en privent pas de commenter et suivre cette affaire rocambolesque à la Koustouritsta, dont les médias raffolent...
Trop de "maires" en fonction (infos tv TA3) J´ai suivi, tout comme le reste de la nation, ce cirque électoral à la télé, et c´est quand même avec quelques appréhensions que je mène notre petit groupe valeureux (nous sommes quand même 28) à Bystrany. D´ailleurs, le contact et l´invitation à cet événement s´est passé un peu de la même manière, la semaine dernière, lorsque je me suis arrêté a une station d´essence, une femme m´a apostrophé, est-ce que je suis ce monsieur qui s´occupe des enfants, elle a pris mon n. de tel., et le lendemain le remplaçant du remplaçant du maire m´a appelé pour me proposer de venir nous produire à leur fête, les Journées de la Municipalité de Bystrany. Le minibus et les deux voitures que nous ont envoyés les organisateurs pour nous chercher sont arrivés pile a l´heure prévue, nous pouvons partir. J´aurais préféré venir avec notre bus a nous, pour être autonome au niveau du transport, c.a.d., être capable de partir à n'importe quel moment, si la situation sur place venait à se dégrader. Nous atteignons Bystrany dans une petite heure, en ayant assez de temps devant nous pour nous préparer à monter sur scène. Je laisse tout le monde dans les vestiaires de la Maison de la culture, et je pars en repérage sur le site du spectacle. D’emblée, il est évident ou nous nous trouvons. Il n´y a que des Roms, pratiquement tout le village est là, pour assister au spectacle.
Près du stade de foot il y a une petite scène, sur laquelle joue un groupe des environs, et des gens sont installés sur des bancs, ou se baladent entre la buvette et la scène, dans une petite ambiance champêtre sympathique. Pas de conflit ni problème a l´horizon, pour l'instant. Les gens sont plutôt décontractés et cool, un service de sécurité, constitué d´une bonne quarantaine d´hommes du village, est omniprésent, comme on dit, ils veillent au grain, et ne laissent rien passer, le moindre soupçon d´un conflit quelconque est tout de suite repéré et maîtrisé. Tout cela me fait plutôt une bonne impression, visiblement, les organisateurs, donc l'équipe du remplaçant du remplaçant du maire connaissent la problématique, ont l'habitude de ce genre de manifestation chez eux, et savent y faire face. C'est bien, et ça rassure ! La scène n'est pas très grande, dans les 6 m sur 4, un groupe de musique local y distille une production pur jus tsigane, honnête, qui ravit à grand renfort de décibels le public qui écoute et se dandine tranquillement devant. Les voyant ainsi, je me dis qu´on est mal partis, rien de plus périlleux que de faire descendre de la scène un groupe de musique tsigane, lorsque je leur demande jusqu´a quelle heure ils vont jouer, ils me répondent tranquillement que jusqu' à minuit. Et nous devons passer dans vingt minutes. Mais, surprise, quand je leur dis que nous aussi, on doit jouer, ils entament le dernier morceau et une dizaine de minutes après ils nous libèrent la scène. Deuxième surprise, lorsque je leur demande d´enlever leur matériel, et il y en a un paquet, pour que l´on puisse danser, ils le font sans rouspéter, bien que ça leur fait faire des chambardement de matos supplémentaires. Ces musiciens sont tout simplement sympathiques et avenants. Ce qui est extrêmement rare dans le milieu musical tsigane, donc cela mérite vraiment d'être souligné. En effet. hélas, c'est plutôt la jalousie et la méfiance qui règnent entre les musicos roms, et cela même en direction d´un groupe d'enfants et de jeunes, comme nous, nous en avons fait plus d'une fois l'expérience, donc la bonne volonté de ces musiciens nous surprend vraiment, cela nous est pratiquement encore jamais arrivé d'avoir un tel contact empathique... Le son est assuré par un ingé son déprimé, qui, visiblement, se demande ce qu´il fait là, et subit son sort en serrant les dents. Bon, rien à attendre de ce côté là, mais on a l´habitude de ce genre de personnages, on fait avec... Nous nous mettons en place, le déprimé technicien nous met tant bien que mal à disposition quatre micros, pour trente personnes. Sans commentaire... L'espace scénique est minuscule, car le matériel des musiciens, bien qu'ils l'aient rangé, prend quand même beaucoup de place sur cette scène exiguë déjà a l´origine. Normalement on ne devrait pas se produire dans un tel mouchoir de poche, mais comme d´hab, on fait avec, on met la moitié des filles dans le groupe de chant, ça libère un peu de place, et les autres feront comme ils pourront... Le parterre devant la scène, la pelouse d´à côté du stade de foot est remplie de monde, une bonne vingtaine de gardes de corps du service de sécurité, tous avec des gilets oranges, fait un paravent naturel entre le public et la scène, et tous nous regardent, curieux, ce qui va se passer. Pour nous, c´est un grand défi. Et ce n´est pas évident. Le groupe qui vient de passer devant nous disposait d´une très bonne sono, très puissante, et on sait que chez les Tsiganes, les décibels sont partie intégrante de toute production artistique, souvent même déterminants au niveau du jugement sur la qualité de la production de la part des spectateurs, pour lesquels plus c´est fort, mieux c´est.
Nous, avec le gars léthargique de la sono, avec ses quatre malheureux micros, on ne peut en aucune façon faire le poids par rapport à ce qui vient de nous précéder. Mais on ne peut pas reculer, il faut y aller, alors autant y aller à fond ! Malgré tout, j´ai une bonne impression en regardant les spectateurs devant nous, ce sont tous des Tsiganes du cru, des bidonvilles, tout comme nos jeunes, quelque chose me dit que ca va bien se passer.
Je lance quelques phrases d'accueil pour haranguer la foule, et c´est parti ! Dès les premiers accords, c´est gagné. Nous y allons sans nous ménager, je tape a fond avec ma baguette en fer sur la chaise éventrée qui me sert de batterie, personne ne s'économise, le public est acquis d'emblée. Le service d'ordre est de la partie, tout le monde sourit et tous suivent comme à l'église ce qui se passe sur scène. Inutile de dire que lorsqu´on met en avant les petits pour le chant ou les claquettes, c´est le délire.
Les Tsiganes adorent les enfants, alors là, ils sont servis! Surtout que la petite Véronika, de haut de ses 9 ans, est de plus en plus performante, c´est elle la meilleure en claquettes, elle dépasse allègrement tous les gars, même les grands. Alors quand les spectateurs la voient, ils n´en peuvent plus, les portables filment a tout rompre, même les musiciens du groupe précédent sont venus un à un nous regarder, ils sont maintenant tous sur scène derrière nous, en train de filmer, avec des gros sourires, pareil le déprimé de technicien, il vient de retrouver ses couleurs et son sourire, il rejoint la bande des cameraman's, ne laisse rien passer de notre production et essaie de faire de son mieux au niveau du son.
A propos de la caméra, Dodo Banyak, le réalisateur rom qui est en train de faire un documentaire sur nous pour la télé slovaque est là, il a fait le déplacement depuis Bratislava rien que pour ce concert, et comme les autres, il filme le tout.
Un organisateur vient me demander gentiment si on pourrait abréger, ils doivent faire une tombola après, et il doit y avoir aussi des discours officiels, alors, professionnels, on embraye sur le morceau final et on quitte la scène sous des applaudissements comme à l´Olympia ! Oui, pratiquement dix ans après notre passage à l´Olympia de Paris avec les Ogres de Barback, en 2014, ce spectacle au fin fond de la Slovaquie orientale, devant un parterre de Tsiganes perdus de la périphérie européenne, équivaut pour nous à un petit Olympia des Carpathes, tant les enjeux étaient grands et pas évidents au départ, et finalement tout s´est si bien passé à l´arrivée.
Nous quittons la scène heureux, satisfaits du travail bien fait, du succès bien mérité, heureux tout comme notre public, qui nous a accompagné sans faillir, nous a porté à nous dépasser... et nous ne demandons pas mieux, cela nous suffit pour être heureux...
On nous offre une goulash, peu importe si les assiettes dans lesquelles elle est servie sont les mêmes pour tous les consommateurs et les laver entre deux portions aurait été déplacé... Helena, bien sûr, ne prend pas part à cette aventure gastronomique pas très hygiénique, mais les autres n´y voient aucun inconvénient, tout le monde se goinfre comme si on était à la noce. Après le spectacle je n´ai plus la force de réagir à quoi que ce soit de bassement matériel, je me verrais bien être servi dans une assiette propre, les maladies comme le tbc, etc, pullulent en ce genre de destinations, mais tant pis pour la prévention, j´avale le tout tel quel.
De nouveau surprise, le minibus et les voitures sont là à l'heure pile pour nous ramener, nous rentrons sans problèmes à la nuit tombante. Si, au départ, nous étions contrariés par la défection de quelques uns pour ces fichues histoires abracadabrantes, maintenant ça nous fait rire. Quels bêtas, de se priver d´une si belle sortie, d´une sortie extraordinaire...! En tout cas cette visite active à Bystrany a été une bonne surprise, nous avons été très bien accueillis, l'organisation a été durant notre présence sans faille, en un mot, les apparences étaient trompeuses, autant cela semblait pas sérieux, loufoque et koustouritsien aux infos à la télé, autant c'était bien, on peut dire irréprochable, sur place. Nous nous sommes sentis vraiment très bien, comme chez nous. Une très bonne impression et expérience essentiellement positive dans un environnement essentiellement rom.